American Airlines

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Thierry Brun, Editions Kubik, American Airlines

dimanche 15 mars 2020

Interview IDFM Radio Enghien 98. Ce qui reste de Candeur, Jigal Polar, Thierry Brun

Thierry Brun est selon moi, un auteur de polar noir, pas assez connu. Sans être des intimes, nous nous connaissons un peu car nous nous sommes déjà entretenus ensemble sur les ondes d'IDFM Radio Enghien 98 pour parler de ses écrits.. C'est une belle plume et un homme discret et cordial.

Avec beaucoup de bienveillance, il a accepté de se prêter à l'exercice de l'interview.

partons tout de suite à la découverte et de l'auteur Thierry Brun et de son 4ème roman "Ce qui reste de candeur" paru en Février 2020 aux Editions Jigal Polar de Marseille.

Carmen Gimeno.


Questions - réponses :

⦁ "Bulles & Polar" : Thierry, je vais m'attacher quelques instants sur la couverture du roman ; on y voit un homme qui on peut l'imaginer de par sa position part à la renverse. Les questions qui peuvent se poser…sont.... cet homme, est-il déstabilisé ?…si oui…par qui par quoi ? ou bien lâche-t-il totalement prise...est-il fataliste…résigné ? …je ne demande pas de réponse précise Thierry....par contre…vous pouvez nous donner quelques indices ? .....et nous dire qui est à l'origine de cette belle couverture ?


⦁ T.B : Dans mes échanges avec Jimmy Gallier, l’éditeur, nous avons rapidement évoqué que Thomas Boral est arrivé à un moment charnière de sa vie. Il ploie sous son passé et sous la violence mais ne rompt pas, il est encore debout mais à la limite, proche de la rupture et aussi, paradoxalement, plus proche de l’humain qu’il ne le croit. Il est certainement tout, mais ni fataliste, ni résigné, il s’accroche aux petites choses du quotidien, il entretient son corps, il y a encore quelque chose en lui qui le pousse à se rendre utile. Il est aidant, comme on dit. En prenant la décision de porter secours à un des personnages, il fait sauter un verrou, il reprend son destin en main.

Pendant un temps, nous avions pensé à une couverture qui évoquait un saut dans le vide, certainement fatal, mais avec un visuel ludique, un plongeoir incongru au bord d’un ravin.

Quant au choix définitif, il a appartenu à l’éditeur. Le choix des couleurs et de ce sfumato (technique picturale), par exemple.


⦁ BetP : Thierry, le personnage principal c'est Boral....Thomas Boral…et il parle à la 1ère personne.... Pourquoi ce choix ?


⦁ T.B C’est si transparent que ça ? Bon, c’est délibéré, j’avoue. Mais vous êtes la première personne à l’évoquer.

Thomas vient de l'araméen " Te'oma " c’est " Jumeau ". Thomas, prénom que j’ai utilisé dans mon premier roman "Surhumain" et que j’ai retrouvé ici, qui s’est imposé dès les premiers mots, les deux chapitres d’introduction de "Ce qui reste de candeur".

J’ai compris que je ne me cacherai pas derrière un personnage totalement fictif. Ce qu’il ressentait, son passé, l’état d’esprit de cet homme dans son auto, à souffrir de la chaleur, coincé, brisé par la fatigue et ce qu’il avait vécu les mois avant son arrivée dans cette région, m’appartenait. C’était moi dans les mots et les impressions. Ses troubles, ses manquements, ses pulsions, sa capacité à supporter le joug et la coercition, son besoin d’éprouver son corps et son esprit ont construit ce que je suis. Alors, j’ai décidé de tracer ce sillon. Et tout est venu naturellement dans une écriture fluide et sans fard. Mais je m’en suis tenu au personnage.

Je n’ai pas livré Thierry. Ce sera le cas dans un prochain roman.


⦁ BetP : "Ce qui reste de candeur" est un roman où la psychologie de tous les personnages est finement décrite. Les personnages secondaires qui gravitent autour de Thomas Boral sont essentiels au récit et si Thomas, le voyou repenti est le personnage masculin phare…Delphine est son pendant…et peut-être le supplante-elle…Qui est Delphine, Thierry ?


⦁ T.B. Elle est le personnage principal de ce roman. Elle aurait pu s’appeler Thomas, - le double, encore-. Delphine est sa part d’enfance et d’adolescence qu’il a occultée et en qui il se retrouve. Elle raisonne en lui, en tout, c’est l’amour d’enfance perdu, la sœur des foyers, la chair et l’esprit maltraités, violés. Ce personnage tient une place particulière dans mon cœur. Delphine est l’enfant en manque de tendresse, qui n’a trouvé que la séduction pour exister et devient à son corps défendant une adulte en perte de repères qui détruit tout autour d’elle, comme une planète aspirant tout l’oxygène. Un soleil. Et, comme le soleil, elle peut réchauffer comme elle peut brûler. Mais, elle est aussi le plus grand soutien de Thomas.

Delphine est une amie qui a eu un parcours similaire mais qui vit bien son passé, qui en a fait quelque chose. Il lui aura fallu du temps, mais c’est consolidé. Elle est un pilier.


⦁ BetP : La violence est omniprésente dans ce roman…violence des sentiments, violence des éléments dans cette région de la Montagne Noire et bien sûr, violence des hommes. Cette violence s'exprime par vos mots, votre style qui va droit au but avec tout de même quelques belles phrases poétiques qui figent un peu le temps et puis l'intrigue reprend de plus belle. Ce style percutant permet d’imprimer je suppose Thierry, une montée en puissance ? le lecteur doit être maintenu en apnée….


⦁ T.B. Les lecteurs évoquent souvent cette lecture en apnée et ce sentiment d’assister à une fin inéluctable. Je ne l’ai pas voulu. Encore une fois, le récit s’est imposé et je n’ai jamais ressenti le besoin d’enchainer les péripéties pour créer une tension.

"Ce qui reste de Candeur" est avant tout une aventure humaine, fort banale somme toute. Et s’il y a une part d’inéluctabilité, elle est surtout dans la rencontre de Thomas et de Delphine. S’il y a un style d’écriture particulier, il ne m’appartient pas. Quant à la violence, et si on parle de puissance, je voulais imposer les deux, celles de la nature, des éléments, qui ont la capacité à briser toutes les déterminations humaines. J’avais cette image d’une armée balayée par un coup de vent, d’hommes animés par une volonté d’imposer leur vengeance mais trouvant plus fort et dangereux qu’eux.

Et puis, plus prosaïquement, j’ai été confronté à des tempêtes dans la Montagne Noire et dans les Alpes. Une fois à pied et lors de raids en ski. J’ai vécu dans ma chair ce qu’est une chute de température de 15 degrés, un dévissage sur une face nord ou dans un ravin, un saut dans le vide, des traumatismes corporels. J’ai voulu parler de ces moments qui balaient tout ce que tu as vécu jusque-là : tu t’accroches à la vie, quelle que soit cette vie, ou bien tu lâches prise.

Et quand tu entends l’hélicoptère, tu sais que tu y tiens à cette misérable existence. Tu as tout fait pour.


⦁ BetP : Au fil des pages, j'ai vécu la lente descente aux enfers de Thomas Boral.... je l'ai vu happé dans une spirale le rapprochant inexorablement de l’œil du cyclone.....ce roman sert aux lecteurs une sorte d' intrigue en forme d'entonnoir.....d'où vous est venu, Thierry Brun, l'idée de ce récit de la rencontre d'un repenti tourmenté et d'une belle vénéneuse ?


⦁ T.B. C’est la rencontre d’une femme qui va ramener un homme à la vie. Il n’en attendait plus grand-chose, sans en avoir conscience, et elle va le mettre sous perfusion d’émotions. C’est l’idée primale du récit. Delphine est une enfant de la Nature, elle est la tempête, l’orage et le soleil, encore le soleil, et elle redonne à Thomas de ce qu’il a perdu. La nature est anarchique, chaotique.

L’homme a créé, entre autres, la maitrise et le temps, le gain et la perte, notions artificielles, et s’est égaré dans ces combats purement techniques. Là, on est vraiment dans les premières pulsions d’écriture de "Ce qui reste de candeur".


⦁ BetP : Dans les 50 dernières pages, tout s'accélère...et c'est très cinématographique.....toutes les pièces du puzzle s'emboitent.....et il ressort que Thomas BORAL a été un pion dans le scénario final, peut-être a-t-il croisé les mauvaises personnes, peut-être s'est-il uniquement trouvé au mauvais endroit au mauvais moment mais qu'en fin de compte, c'est un mal pour un bien.....c'est ce qui reste de candeur en lui.....cela fait de lui un pion essentiel au récit.

En extrapolant, je dirais que Thomas BORAL et Delphine était fait pour se rencontrer parce qu'ils ont le même objectif : faire table rase de leur passé...

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⦁ T.B. Ordo Ab Chao…

Un nouveau chaos pour réordonner nos vies, accepter qu’une tempête, - sociale, humaine, naturelle, virale - , détruise tout pour que les survivants réapprennent à vivre en communion avec leurs sentiments premiers, primaux ? Je me suis posé ces questions, mais une fois le manuscrit achevé.

Thomas est enfant de la violence organisée, celle qui équilibre les forces en présence entre les communautés rivales. On peut parler de partis politiques, d’officines, de gangs, de mafias. Toutes ces corporations s’agitent selon ces principes.

Si Thomas était un pion, c’était avant, sous les ordres de Franck Miller, puis ensuite sous l’autorité de la justice et des policiers.

Delphine lui rend sa peau d’humain, elle casse le pion, la logique de jeu d’échec, elle balaie les pièces, – elle casse tout, en fait - et précipite Thomas vers sa vérité. Delphine révèle Thomas à ce qu’il est : un être vivant.

Elle lui offre l’opportunité d’aimer à nouveau, et oui, vous avez raison, de faire table rase du passé. Faisons table rase. Brûlons tout, reconstruisons si nous en avons le courage, c’est sans doute le vœu.


La conclusion de "Bulles & Polar" :

Ce court roman de 192 pages est un petit noir corsé et bien serré, goûtu aux arômes de la Montagne Noire, que l'on déguste à petites gorgées au début, histoire de bien s'imprégner de la tension croissante et dont on avale goulument les dernières gouttes à la fin tellement on est pressé de connaître le dénouement.

Merci Thierry Brun pour tous ces éclaircissements et longue vie à "Ce qui reste de candeur" paru en Février 2020 chez Jigal Polar.


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