Thierry Brun est selon moi, un auteur de polar noir, pas assez connu. Sans être des intimes, nous nous
connaissons un peu car nous nous sommes déjà entretenus ensemble sur les
ondes d'IDFM Radio Enghien 98 pour parler de ses écrits.. C'est une
belle plume et un homme discret et cordial.
Avec beaucoup de bienveillance, il a accepté de se prêter à l'exercice
de l'interview.
partons tout de suite à la
découverte et de l'auteur Thierry Brun et de son 4ème roman "Ce qui
reste de candeur" paru en Février 2020 aux Editions Jigal Polar de
Marseille.
Carmen Gimeno.
Questions - réponses :
⦁
"Bulles & Polar" : Thierry, je vais m'attacher quelques instants sur
la couverture du roman ; on y voit un homme qui on peut l'imaginer de
par sa position part à la renverse. Les questions qui peuvent se
poser…sont.... cet homme, est-il déstabilisé ?…si oui…par qui par quoi ?
ou bien lâche-t-il totalement prise...est-il fataliste…résigné ? …je ne
demande pas de réponse précise Thierry....par contre…vous pouvez nous
donner quelques indices ? .....et nous dire qui est à l'origine de cette
belle couverture ?
⦁ T.B : Dans mes échanges avec Jimmy Gallier,
l’éditeur, nous avons rapidement évoqué que Thomas Boral est arrivé à
un moment charnière de sa vie. Il ploie sous son passé et sous la
violence mais ne rompt pas, il est encore debout mais à la limite,
proche de la rupture et aussi, paradoxalement, plus proche de l’humain
qu’il ne le croit. Il est certainement tout, mais ni fataliste, ni
résigné, il s’accroche aux petites choses du quotidien, il entretient
son corps, il y a encore quelque chose en lui qui le pousse à se rendre
utile. Il est aidant, comme on dit. En prenant la décision de porter
secours à un des personnages, il fait sauter un verrou, il reprend son
destin en main.
Pendant un temps, nous avions pensé à une
couverture qui évoquait un saut dans le vide, certainement fatal, mais
avec un visuel ludique, un plongeoir incongru au bord d’un ravin.
Quant au choix définitif, il a appartenu à l’éditeur. Le choix des
couleurs et de ce sfumato (technique picturale), par exemple.
⦁ BetP : Thierry, le personnage principal c'est Boral....Thomas Boral…et il parle à la 1ère personne.... Pourquoi ce choix ?
⦁ T.B C’est si transparent que ça ? Bon, c’est délibéré, j’avoue. Mais vous êtes la première personne à l’évoquer.
Thomas vient de l'araméen " Te'oma " c’est " Jumeau ". Thomas,
prénom que j’ai utilisé dans mon premier roman "Surhumain" et que j’ai
retrouvé ici, qui s’est imposé dès les premiers mots, les deux
chapitres d’introduction de "Ce qui reste de candeur".
J’ai
compris que je ne me cacherai pas derrière un personnage totalement
fictif. Ce qu’il ressentait, son passé, l’état d’esprit de cet homme
dans son auto, à souffrir de la chaleur, coincé, brisé par la fatigue
et ce qu’il avait vécu les mois avant son arrivée dans cette région,
m’appartenait. C’était moi dans les mots et les impressions. Ses
troubles, ses manquements, ses pulsions, sa capacité à supporter le
joug et la coercition, son besoin d’éprouver son corps et son esprit
ont construit ce que je suis. Alors, j’ai décidé de tracer ce sillon. Et
tout est venu naturellement dans une écriture fluide et sans fard.
Mais je m’en suis tenu au personnage.
Je n’ai pas livré Thierry. Ce sera le cas dans un prochain roman.
⦁ BetP : "Ce qui reste de candeur" est un roman où la psychologie de
tous les personnages est finement décrite. Les personnages secondaires
qui gravitent autour de Thomas Boral sont essentiels au récit et si
Thomas, le voyou repenti est le personnage masculin phare…Delphine est
son pendant…et peut-être le supplante-elle…Qui est Delphine, Thierry ?
⦁ T.B. Elle est le personnage principal de ce roman. Elle aurait pu
s’appeler Thomas, - le double, encore-. Delphine est sa part d’enfance
et d’adolescence qu’il a occultée et en qui il se retrouve. Elle
raisonne en lui, en tout, c’est l’amour d’enfance perdu, la sœur des
foyers, la chair et l’esprit maltraités, violés. Ce personnage tient une
place particulière dans mon cœur. Delphine est l’enfant en manque de
tendresse, qui n’a trouvé que la séduction pour exister et devient à son
corps défendant une adulte en perte de repères qui détruit tout autour
d’elle, comme une planète aspirant tout l’oxygène. Un soleil. Et, comme
le soleil, elle peut réchauffer comme elle peut brûler. Mais, elle est
aussi le plus grand soutien de Thomas.
Delphine est une amie qui
a eu un parcours similaire mais qui vit bien son passé, qui en a fait
quelque chose. Il lui aura fallu du temps, mais c’est consolidé. Elle
est un pilier.
⦁ BetP : La violence est omniprésente dans ce
roman…violence des sentiments, violence des éléments dans cette région
de la Montagne Noire et bien sûr, violence des hommes. Cette violence
s'exprime par vos mots, votre style qui va droit au but avec tout de
même quelques belles phrases poétiques qui figent un peu le temps et
puis l'intrigue reprend de plus belle. Ce style percutant permet
d’imprimer je suppose Thierry, une montée en puissance ? le lecteur doit
être maintenu en apnée….
⦁ T.B. Les lecteurs évoquent souvent
cette lecture en apnée et ce sentiment d’assister à une fin inéluctable.
Je ne l’ai pas voulu. Encore une fois, le récit s’est imposé et je n’ai
jamais ressenti le besoin d’enchainer les péripéties pour créer une
tension.
"Ce qui reste de Candeur" est avant tout une aventure
humaine, fort banale somme toute. Et s’il y a une part d’inéluctabilité,
elle est surtout dans la rencontre de Thomas et de Delphine. S’il y a
un style d’écriture particulier, il ne m’appartient pas. Quant à la
violence, et si on parle de puissance, je voulais imposer les deux,
celles de la nature, des éléments, qui ont la capacité à briser toutes
les déterminations humaines. J’avais cette image d’une armée balayée
par un coup de vent, d’hommes animés par une volonté d’imposer leur
vengeance mais trouvant plus fort et dangereux qu’eux.
Et puis,
plus prosaïquement, j’ai été confronté à des tempêtes dans la Montagne
Noire et dans les Alpes. Une fois à pied et lors de raids en ski. J’ai
vécu dans ma chair ce qu’est une chute de température de 15 degrés, un
dévissage sur une face nord ou dans un ravin, un saut dans le vide,
des traumatismes corporels. J’ai voulu parler de ces moments qui
balaient tout ce que tu as vécu jusque-là : tu t’accroches à la vie,
quelle que soit cette vie, ou bien tu lâches prise.
Et quand tu entends l’hélicoptère, tu sais que tu y tiens à cette misérable existence. Tu as tout fait pour.
⦁ BetP : Au fil des pages, j'ai vécu la lente descente aux enfers de
Thomas Boral.... je l'ai vu happé dans une spirale le rapprochant
inexorablement de l’œil du cyclone.....ce roman sert aux lecteurs une
sorte d' intrigue en forme d'entonnoir.....d'où vous est venu, Thierry
Brun, l'idée de ce récit de la rencontre d'un repenti tourmenté et d'une
belle vénéneuse ?
⦁ T.B. C’est la rencontre d’une femme qui va
ramener un homme à la vie. Il n’en attendait plus grand-chose, sans en
avoir conscience, et elle va le mettre sous perfusion d’émotions. C’est
l’idée primale du récit. Delphine est une enfant de la Nature, elle est
la tempête, l’orage et le soleil, encore le soleil, et elle redonne à
Thomas de ce qu’il a perdu. La nature est anarchique, chaotique.
L’homme a créé, entre autres, la maitrise et le temps, le gain et la
perte, notions artificielles, et s’est égaré dans ces combats purement
techniques. Là, on est vraiment dans les premières pulsions d’écriture
de "Ce qui reste de candeur".
⦁ BetP : Dans les 50 dernières
pages, tout s'accélère...et c'est très cinématographique.....toutes les
pièces du puzzle s'emboitent.....et il ressort que Thomas BORAL a été un
pion dans le scénario final, peut-être a-t-il croisé les mauvaises
personnes, peut-être s'est-il uniquement trouvé au mauvais endroit au
mauvais moment mais qu'en fin de compte, c'est un mal pour un
bien.....c'est ce qui reste de candeur en lui.....cela fait de lui un
pion essentiel au récit.
En extrapolant, je dirais que Thomas
BORAL et Delphine était fait pour se rencontrer parce qu'ils ont le même
objectif : faire table rase de leur passé...
.
⦁ T.B. Ordo Ab Chao…
Un nouveau chaos pour réordonner nos vies, accepter qu’une tempête, -
sociale, humaine, naturelle, virale - , détruise tout pour que les
survivants réapprennent à vivre en communion avec leurs sentiments
premiers, primaux ? Je me suis posé ces questions, mais une fois le
manuscrit achevé.
Thomas est enfant de la violence organisée,
celle qui équilibre les forces en présence entre les communautés
rivales. On peut parler de partis politiques, d’officines, de gangs, de
mafias. Toutes ces corporations s’agitent selon ces principes.
Si Thomas était un pion, c’était avant, sous les ordres de Franck
Miller, puis ensuite sous l’autorité de la justice et des policiers.
Delphine lui rend sa peau d’humain, elle casse le pion, la logique de
jeu d’échec, elle balaie les pièces, – elle casse tout, en fait - et
précipite Thomas vers sa vérité. Delphine révèle Thomas à ce qu’il est :
un être vivant.
Elle lui offre l’opportunité d’aimer à nouveau,
et oui, vous avez raison, de faire table rase du passé. Faisons table
rase. Brûlons tout, reconstruisons si nous en avons le courage, c’est
sans doute le vœu.
La conclusion de "Bulles & Polar" :
Ce court roman de 192 pages est un petit noir corsé et bien serré,
goûtu aux arômes de la Montagne Noire, que l'on déguste à petites
gorgées au début, histoire de bien s'imprégner de la tension croissante
et dont on avale goulument les dernières gouttes à la fin tellement on
est pressé de connaître le dénouement.
Merci Thierry Brun pour
tous ces éclaircissements et longue vie à "Ce qui reste de candeur"
paru en Février 2020 chez Jigal Polar.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire