American Airlines

American Airlines
Thierry Brun, Editions Kubik, American Airlines

lundi 12 août 2019

La colère de Sandra. Polar



Elle se roula en boule dans le lit avec l'infime espoir d'étouffer cette colère en elle, ou bien de trouver assez courage pour se jeter dans un brasier. Elle ouvrit les yeux, mais aussitôt les referma. Elle se réveillait toujours avec la présence, là, à l’endroit le plus chaud, dans son ventre, ou bien sur la chaise, à la tête du lit.

Les gens. Les vivants. Pour les côtoyer, elle descendait encore dans l’arène. Elle se frottait aux comptoirs, levait le coude. C’était sa façon de briser le sortilège, de se sentir femme parmi les femmes, femme parmi les hommes. Mais, c'était un leurre, un faux semblant. Au bout du compte, un échec.


Du coin de l’œil, elle surprit un mouvement. De l’autre côté de la rue, un reflet dans l’ombre d’une fenêtre. Une silhouette qui s’effaçait. Des mains invisibles repoussèrent les battants. Ce n'était rien. Juste une histoire de voisin masturbateur qui matait pendant des heures et des heures.


Cette nuit là, ils avaient surgi dans la maison, armés et saouls. Ils étaient rentrés dans la chambre. Enivrés, attirés par l’odeur de son corps. Ce corps qui lui appartenait encore. Elle s’était enfoncée sous la couette pour échapper à la peur. La peur... longtemps dans les oreilles en un interminable phénomène acouphène. Et cette présence, entêtante, écœurante. Celle du sang.  Son sang sur leurs mains, arabesques, le sang en une peinture magique. Elle  les savait stupides et indignes. Indignes, ils l'ont été. Stupides, ils s'étaient retirés comme une marée, comme une armée repue, victorieuse et honteuse. Stupides, ils l'avaient laissée vivante. Encore vivante. Enfin, plus tout à fait.

Elle était  maintenant liée à son secret. Le secret de sa domination sur l’homme. Désormais, il ne pouvait plus l'atteindre. Il essaierait, en vain. Chaque seconde de sa vie serait une étape. Non par la pensée comme les philosophes, mais dans l’action. Les conséquences n'avaient plus aucune espèce d'importance. Sa colère, elle en faisait sa créature. Un Golem. Une divinité.


Dans le sang. Elle avait bien compris. La force décidait et le reste, la morale, l'empathie, l'amour n'étaient que des mensonges, des carcans. Aujourd'hui, il y avait cette chose lovée dans son ventre, son cœur. Une chose terrible, convaincante. Il lui suffisait de l'écouter en secret pour s'affranchir du monde. Pour elle, la joie et la douleur, l’illusion et la vérité jouaient, inséparables, dans le même espace, un miroir à quatre faces. Avant, elle subissait. C'était fini. Il y avait en elle cette sauvagerie antique, irréductible et une parole qui ne parlaient pas le langage de ce siècle. Oui, grandissait dans son cœur une flamboyante fureur qui surpassait en force, en chaleur, en évidence le dogme humain.
Thierry Brun. La colère.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire