American Airlines

American Airlines
Thierry Brun, Editions Kubik, American Airlines

jeudi 15 août 2019

Mots Amours et Rêves. Roman de nuit et de jour.



Le colporteur des jours


Bonjour la compagnie ! Je vous apporte un jeudi, aujourd’hui. 

Silence

C’est comme ça qu’on m’accueille ? Quoi, ces absences de sourires ? 


Le miroitier des rêves


Moi, tu sais, je te dois la vie, mais en dehors de ça… ton éphéméride ne change jamais d’un gramme le poids des rêves que je reflète dans mes miroirs. Je suis bien content de te voir, mais pourquoi j’écouterais ce que tu dis…

Le colporteur des jours


Charmant. Et tous les matins au chant du soleil, c’est pareil, la lutte, la  lutte pour ne pas fondre dans les ombres de l’infini. Il suffit pourtant que quelqu’un me réponde. Tiens, la belle, toi tu m’entends, tu es bien obligée. Regarde-moi en face.

Elle

Oh pardon,  le colporteur,  je songeais.

Le colporteur des jours


Ah, voilà, elle songeait Encore un coup de la jarre.
Sors de ta cache, la jarre. Tu m’énerves quand tu joues la discrète. 


La jarre d’amour


Ne crie pas, tu troubles la moire de ma léthargie.


Le colporteur des jours


Je vais hurler, oui, pour que ma voix traverse les murs d’argile de ta surdité. Est-ce que tu pourrais, de temps en temps, arrêter de t’infiltrer partout, de faire danser tes méandres magiciens qui encordent notre pauvre fille dans ses propres mirages ? Est-ce que tu pourrais, de temps en temps, rabattre ta superbe, un peu, et considérer que tu n’es pas seule au monde, que dis-je, que tu détournes du monde ceux qui doivent le recréer chaque jour ?

La jarre d’amour

Mais colporteur, doucement, tu es bien méchant avec moi. Je n’ai aucun pouvoir, je ne suis rien si des bras ne me portent pas, si des lèvres ne se désaltèrent pas comme des puisatières…

Le miroitier des rêves


Oui, doucement, colporteur, doucement. Je deviens quoi, moi, sans la jarre… rien, ou alors il faut que je me reconvertisse, que je reflète les choses matérielles. Tu me vois renvoyer aux yeux le périmètre exact d’une table, le calcul du nombre de fleurs d’un bouquet ou le dosage de blanc que la lumière a dilué dans le bleu du ciel ? Qui j’intéresserai ?

Elle

Pas moi.

Le colporteur des jours

Je m’en doutais. La coalition spontanée. L’alliance objective des faibles. Vous êtes dangereux. Je vais vous combattre. Transformation ou liquidation. Voilà l’objectif. Je ne vous laisserai pas la fissurer, la pulvériser, la ravir de la vie.


La jarre d’amour


Tu es gentil, le colporteur. Un gros nigaud balourd, tellement naïf qu’on ne peut pas t’en vouloir. Tu emploies des mots dont tu ne connais que le tracé. La vie… tu la pèses, tu la mesures, tu l’empoignes, et tu ne te rends même pas compte que tu en es le geôlier…


Le colporteur des jours


Le délire, là, le plein délire… Écoute, la jarre, tu m’écoutes ? Qui ouvre toutes les portes de la vie ? Moi. Qui rend tout acte, toute expérience possible ? Moi. Qui permet la respiration de l’espace, l’incorporation du temps, la caresse de la terre et l’ivresse de ses parfums ? Moi. Je ne suis pas le géomètre de la vie, je suis son principe, son géniteur. Le passage du rien au tout. Je ne me complais pas dans les craquelures, moi. 


Le miroitier des rêves


Moi, moi, moi… tu patines dans tes œillères, l’ami. Qu’est-ce que tu imagines ? Que c’est toi qui engendres la caresse et l’ivresse ? Mon pauvre gars, tu n’es bon qu’en mécanique des gestes, en automatismes des mots. Tu n’organises que des répétitions, des reproductions. Autant dire du mime. Sans la jarre et les services que je veux bien lui rendre, personne ne connaîtrait les mouvements de l’âme qui transportent au-delà des confins de l’imaginé… les métamorphoses des images du monde… la fraîcheur de l’oasis luxuriant caché dans les déserts de l’ordinaire. Tu es ordinaire.

Elle

Les oasis… mon oasis sous les palmiers penchés… le chant chromatique des hibiscus et le parfum roux des dattes… le chaos en forme d’orange sauvage qui reflète mon âme… 


Le miroitier des rêves


Tu vois, tu vois, elle a accédé au reflet, elle est entrée dans la vie.


La jarre d’amour


Elle a franchi le passage, quel bonheur ! Viens te désaltérer, la belle, viens autant que tu le voudras, mon eau ne s’évapore jamais.

Le colporteur des jours

Face à la folie, ce sera liquidation. Ils sont fous. Aliénés. Perdus. C’est ça, le bonheur, les batteries de mots tirés d’une imagination en auto-allumage ? Est-ce qu’on me demande, à moi, de jouer le moindre rôle dans tout ça ? Qu’est-ce que vous croyez, que le bonheur est possible sans moi ? Mais non, mais non, et là je ris, car vous allez vous rendre à l’évidence, soit je vous liquide, soit on négocie. En tout cas j’existe. Je suis là. J’écoute ?

Elle


Demain je veux aller dans mon oasis d’intensité…

Le colporteur des jours


C’est où ? Longitude ? Latitude ? Temps de trajet ? Réservations ? Valises ? 


Le miroitier des rêves


Ne te donne pas tant de mal, le colporteur. De l’autre côté du monde, après le seuil du passage, rien ne pèse. Pas besoin de boussole, de montre, de décamètre. La vie déploie ses arabesques aériennes. Rassure-toi, on a besoin de toi, mais tu dois accepter ton rôle de serviteur, et t’habituer à l’apesanteur.

Elle

Demain je veux du sable dans mes cheveux et l’éclat étoilé des nuits froides, et je soufflerai sur l’encens à l’huile de rose et au benjoin… 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire