American Airlines

American Airlines
Thierry Brun, Editions Kubik, American Airlines

jeudi 15 août 2019

Premier Chapitre. Polar Impact.


"Zoulou inspira profondément.
Elle repoussa la chaise sur laquelle elle était assise. D’un doigt ganté, elle dégagea ses mèches brunes, réajusta son oreillette et bloqua le micro bâton contre ses lèvres. Elle décontracta ses muscles en roulant des épaules, puis fit quelques pas dans la chambre de bonne. Son propriétaire, immobilisé au sol, menotté et réduit au silence, sursauta puis ne bougea plus.
La terroriste enfila son blouson, le zippa jusqu’au menton. D’un geste ample du bras, elle empoigna le fusil de précision qui reposait contre le mur. Elle ouvrit la fenêtre, positionna le bipied sur le rebord en béton, abaissa le guidon de l’arme.
Cinq étages plus bas, l’ancienne voie romaine Mouffetard, pavée et étroite, coupait les rues Broca et Censier. La jonction, endroit choisi pour l’attentat, dessinait une place en forme de cœur et le trottoir s’élargissait, amenuisant sensiblement l’espace de la chaussée.
C’est là que le premier impact clouerait le véhicule de la cible.
La tireuse embusquée avait attendu le dernier moment, diminuant ainsi les risques d’être repérée. Elle pointa le canon de son fusil en direction du carrefour Italie-Choisy, colla son œil au viseur. Les détails de la scène envahirent son champ de vision : deux Toyota noires remontaient le boulevard Saint Marcel à faible vitesse, obliquèrent, se rapprochèrent, puis se garèrent dans la contre-allée de Bazeilles.
Dans son système d’optique, Zoulou s’attarda sur les individus qui se tenaient dans les RAV4, l’escorte du capitaine d’industrie Alexandre Vottin.
Elle détecta un mouvement qui lui fit froncer le sourcil : un homme les bras encombrés d’une poussette venait de sortir d’un immeuble. L’invité surprise déposa son fardeau, alluma une cigarette et fit quelques pas devant les portes de la paroisse Saint Médard que l’industriel Vottin devait franchir pour assister à la messe de huit heures. Une femme rejoignit le fumeur. La mèche douteuse, la face sévère, elle maîtrisait d’une main ferme l’enthousiasme d’une fillette et ployait sous le poids d’un poupin emmailloté. Elle apostropha son mari, puis elle pivota, visiblement excédée, et tança vertement sa chère tête blonde.
Un tic agita la joue de la tueuse. Comme elle le craignait, le couple masquait la ligne de tir…
Zoulou se déplaça sur le côté, perdit de la visibilité et jura entre ses dents.
– Tormac à Zoulou : la Merco. Trente secondes.
– Zoulou à Tormac. Problème.
– Vingt secondes… Dix, égrenait Tormac. Problème ?
– Pékins, en plein dans le champ !
– Démerde-toi.
À cet instant, respectant le planning prévu, une Mercedes acier s’immobilisa au niveau des Toyota. Quelques paroles furent échangées par les vitres baissées puis les berlines redémarrèrent les unes derrière les autres. Dans les reflets changeants des pare-brise, les mines sombres des gardes du corps d’Alexandre Vottin paraissaient défiler au ralenti, en images stroboscopiques.
Zoulu grogna de mécontentement.
Point de vue réduit à néant par l’angle trop vertical.
Sans attendre une seconde de plus, Zoulou désajusta le bipied, arracha la lunette de visée, puis d’un mouvement assuré, le dos bien droit, cala la crosse du fusil haut sur son épaule.
L’index contre le pontet, elle fixa les trois automobiles en libérant l’air bloqué dans ses poumons…
Puis, elle inspira profondément, apaisant son rythme cardiaque.
Concentrée, la tueuse cassa son buste, se pencha, chercha une meilleure perspective. N’en trouvant pas, elle se haussa sur la pointe des pieds, bascula à demi le tronc hors de l’encadrement de la fenêtre, retrouva une vision claire de la scène.
Elle frémit. Tout le monde pouvait la surprendre. C’était n’importe quoi.
– Tormac ! ? Tormac ?!
Silence, puis l’injonction brutale.
– La Merco. Action. Ordre au feu.
– Négatif.
– Respect des consignes. Ordre au feu, Zoulou !
– Négatif. Un couple, deux mômes, à onze heures. Sont dans l’objectif.
– La Mercedes Zoulou ! Qu’est-ce tu fais, merde ! ? Mathilde et Thierry sont prêts !
– Non. Trop risqué.
– Rien à foutre des civils ! Bute-les !!! S’égosilla Tormac
Zoulou expira avec fureur, décolla l’arme de son épaule comme le font parfois les chasseurs, tenta de trouver une fenêtre de tir entre le père qui, clope au bec, se baissait, fourrageait sous la poussette. et la mère qui, l’espace d’un battement de cœur, s’agenouillait aux pieds de sa fille.
Maintenant.
Résilia écrasa deux fois la queue de détente, se pencha violemment au-dessus du vide, doubla ses salves avec méthode, choisissant les axes qu’elle jugeait les plus appropriés. Les balles perforantes percèrent le blindage de la Mercedes comme des cailloux jetés dans une fine pellicule de gel.
Les coups de départ percutèrent le silence du quartier. Aussitôt, des têtes effarées apparurent aux fenêtres.
La tireuse hurla, de rage, de joies mêlées.
– C’est fait ! C’est fait !
La Classe S400 avait tressauté sous les impacts.
Dans les secondes frappées de stupeur qui suivirent, une portière s’ouvrit libérant une forme qui glissa sur le trottoir.
Les gardes du corps jaillirent des Toyota : quatre cernèrent la Mercedes, en protection, déployèrent des boucliers souples, firent un rempart pour abriter leur patron blessé. Deux autres se positionnèrent en contre-feu.
Zoulou se recula dans l’ombre de l’appartement.
Avec un temps de retard sur le timing prévu, Mathilde Navostky, Thierry Silent et Adrian Baroumé, membres du commando terroriste « Faction Armée » surgirent d’une Renault garée rue Censier.
Mathilde Navostky, courait, son bras armé tendu droit devant elle et fit feu à plusieurs reprises. La riposte fut immédiate : trois projectiles traversèrent sa poitrine à vitesse subsonique et l’activiste tomba sur les genoux, la bouche ronde de surprise.
Ses camarades hésitèrent, freinèrent leur course. Le premier, Thierry Silent, trébucha, touché à l’épaule par une balle. Il laissa échapper son arme, tenta de le ramasser, tourbillonna sur les talons et s’effondra tête la première entre deux autos. Blessé et apeuré, le révolutionnaire se releva, chercha du regard son semi-automatique qui avait glissé dans le caniveau, puis, ne le trouvant pas, il détala, courbé en deux, abrité par la file des véhicules en stationnement. Après un dernier coup d’œil pour sa partenaire qui se traînait sur les pavés, il fila en direction de la rue Monge.
Le second demeura figé au milieu de la chaussée. Adrian Baroumé jeta soudain son pistolet comme s’il lui brûlait la main. Il se répétait que c’était trop con : il n’avait pas vu les choses comme ça. Tout avait été trop vite et il ne voulait pas mourir. Oubliant qu’il n’avait pas affaire à la police, il leva les bras en signe de réédition.
À couvert derrière leur bouclier, les gardes du corps vidèrent avec frénésie leurs chargeurs.
De son cinquième étage, incapable de réagir, Zoulou assistait au carnage. Elle aurait souhaité prêter main-forte à ses camarades, mais elle avait déjà trop tardé. C’était fini. Des larmes dans les yeux, elle décrocha, dévala l’escalier, abandonnant le fusil, et dans son oreillette la voix nouée de Tormac constatait l’évidence.
– Tu as tout foiré. C’est la merde, Alice. Putain, c’est la merde !"
La Ligne de Tir. Thierry Brun. Éditions Le Passage.

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