FILMER LE HÉROS DANS LA BATAILLE
" Lorsqu'il met en scène un héros guerrier engagé dans un combat de masse, le cinéma se heurte à certaines tensions inhérentes à toute représentation de bataille, rejoignant par là des traditions artistiques plus anciennes. La tradition picturale européenne fournit un antécédent prestigieux et un point de comparaison utile. Elle se trouve à l'origine de tout un art de la lumière et des effets atmosphériques que le cinéma s'efforce parfois d'égaler et qu'il utilise souvent comme procédé d'ouverture ou de clôture. "
" Elle permet aussi d'appréhender la question du point de vue, car les tableaux de bataille doivent toujours faire un choix d'échelle. La mise en valeur d'un héros en action suppose un positionnement proche des combats, le reste de la mêlée étant généralement relégué à l'arrière plan dans un certain désordre. Comme l'a rappelé Hélène Puiseux, le grand style académique français, friand du sujet noble par excellence que représente la guerre, privilégie cette figure centrale héroïque, autour de laquelle s'organise la multitude. "
" L'autre dominante consiste à présenter de loin l'ordonnancement des manœuvres tactiques, au besoin en rattachant à quelques minuscules personnages une légende explicative qui puisse en rappeler le rôle important. C'est le cas notamment dans des séries de tableaux, de tapisseries ou de gravures, qui présentent les étapes successives des combats en adaptant le point de vue. À la comparaison, le récit cinématographique paraît omnipotent: la succession des plans concilierait la distanciation, avec des vues panoramiques du théâtre d'opérations, et la plongée du spectateur dans les combats. Mais cette plus grande élasticité du médium filmique peut sembler porteuse d'un affaiblissement qualitatif. "
" Là où le tableau s'efforce de proposer une image « parfaite» de la bataille en laissant au spectateur la possibilité d'explorer le détail sans perdre la totalité, par définition le cinéma fractionne la vision, les moments de contemplation restant fugitifs et frustrants, tandis que l'unité de l'ensemble demeure fuyante. L'une des grandes forces du cinéma étant alors, précisément, de pouvoir se laisser envahir par le chaos."
Gaspard DELON. http://www.paris-sorbonne.fr/IMG/pdf/GDelon_Cinema.pdf
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