Les vampires étaient en réalité des créatures parfaitement adaptées à un cinéma limité et défini par la censure. Créatures à sang froid, commettant leurs forfaits sans être vues (discrétion remarquable), métaphore de (donc détour, allusion à) l'emprise amoureuse et de (à) la possession sexuelle, elles savaient incarner et provoquer l'effroi dans le cadre assigné par la décence et les convenances d'une époque puritaine.
Mais dès que la violence et la sexualité obtiennent le droit d'être représentées sans tabou, le vampire perd ce qui faisait sa pertinence, et se trouve très rapidement "ringardisé" : le maniérisme rigide de ses pratiques et le raffinement de sa sauvagerie ne fonctionnent plus aux yeux d'un public désormais habitué à une débauche d'hémoglobine généralisée. Le sang versé (ou, plutôt, qui gicle tous azimuts) dans les images de cinéma a dissout sans espoir de retour la figure racée du vampire de naguère : elle ne perdure qu'à travers les manières débrailléees et orgiaques des séries Z. Blade (1998, 2002, 2004) n'est pas du très bon cinéma, mais est assez carré (à commencer par l'interprétation de Wesley Snipes) et maîtrisé pour sembler en fin de compte plutôt malin.
Cela n'empêche pas que depuis maintenant presque 50 ans, le moindre geste, le moindre coup de feu peuvent (cf. le récent et impressionnant Killing Fields de Ami Canaan Mann, mais aussi les derniers films de Jacques Audiard, où le corps est le lieu de toutes les pulsions et violences, de tous les accidents et outrages) faire plus de ravages et avoir plus de portée dramatique (ou horrifique) que les actes nocturnes et contre-nature du fier chiroptère qui passait par là. Le vampire est le symbole de la part monstrueuse des êtres humains ; or, de symbole il n'y a plus besoin depuis qu'il est permis de tout montrer : aujourd'hui un tueur est scénariquement envisagé comme pleinement monstrueux et l'est effectivement bien plus que les monstres du cinéma pudique, romanesque et elliptique d'autrefois. Dracula et ses frères de sang sont la marque d'une époque, d'une sensibilité, d'une manière de raconter et de ressentir totalement disparues dans le cinéma populaire.
Filmo :
Les Prédateurs. Tony Scott. 1983.
Bien
que ce film n'échappe pas à certains travers kitsch du cinéma des
années 80 (un côté un peu trop facilement clip), sa démarche
stylistique surprend, et impose son panache. Tout un visuel pastel et
écru se déploie au gré d'une série de séquences qui, revues 25 ans
plus tard, tiennent encore la route ; Tony Scott a
su en réalité renouveler dans cette série B un univers depuis
longtemps desséché.
Dracula
. Francis Ford Coppola. 1992. [B.S.]
Avec
ce film virtuose (par sa mise en scène) et sincère (une exploration du
deuil) Francis Ford Coppola rend ici tout autant hommage au Septième Art
qu'à la figure complexe, romantique, maléfique,
révoltée, du héros des Carpates. Le comédien Gary Oldman est
impressionnant (rage, désespoir, séduction, sentiments, vice,
déchaînement animal). Wynona Rider (comédienne météore) est une Mina
Murray tendre et adorable.
Entretien avec un vampire
. Neil Jordan. 1994.
Ce
film a au moins un intérêt : séparer l'ivraie du bon grain. Pour qui
avait jusque-là un doute, Neil Jordan apporte la preuve que Tom Cruise
est un comédien largement insuffisant, tandis que Brad Pitt est, quant à
lui, capable d'insuffler à ses rôles une dimension intérieure proprement troublante.
Par ailleurs, ce beau film est certainement avec celui de
Coppola celui qui a su le mieux explorer un univers, avec la part de
ténèbres, de poésie, de romanesque et de romantisme qui manquent en
règle générale aux autres œuvres
Eyes wide shut
. Stanley Kubrick. 1999.
Il
n'est pas question ici de vampires. Mais la métaphore est opérante :
quelles forces cachées (et néanmoins effectivement à
l'oeuvre) vampirisent la société, la vie conjugale, la
solitude de chacun ? A la presque-fin de ce récit étrange, Stanley
Kubrick emprunte à Murnau et fait du personnage que
joue Tom Cruise un nouveau Nosferatu :
incapable d'assumer les fantasmes qui le hantent, de vivre ses désirs
refoulés, il se sent perdu, dépossédé de lui-même. Vivant, et
non-vivant.
Morse
. Tomas Alfredson. Suède. 2009.
Tiré d'un roman de John Ajvide Lindquist, le film de Tomas Alfredson marque par sa grande délicatesse de traitement
: il fonctionne comme une chronique sociale (l'action se déroule dans
une banlieue pauvre, dépressive, de Stockholm) et adolescente (un garçon
de 12 ans, Oskar, est confronté à la méchanceté de certains de ses
camarades de classe, à un père attentif quand il ne boit pas, et à une
fille de son âge, Eli, qui est En réalité un vampire). Par ailleurs, le
film déploie par moments (les scènes horrifiques) la
maestria et le délire farfelu des meilleurs films de série Z :
impossible par exemple d'oublier la scène où une poivrote défraîchie se
fait agresser par un bataillon de chats domestiques, ni celle où (étant
devenue une créature de la nuit) elle s'embrase au petit matin dans la chambre d'hôpital où elle avait été admise.
Philippe Cloarec,
Film et culture 2011-2012. http://www.clairobscur.info/files/429/2012lesvampires_PC_filmetculture.pdf
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