Bref itinéraire du roman policier
Les précurseurs
En 1829, Balzac publie Les Chouans,
œuvre dont certains aspects préfigurent le roman policier. En effet, Corentin, fils naturel présumé de Fouché,
débute dans le métier de la police, c'est aussi un agent secret. On le
retrouvera dans Une ténébreuse affaire, puis Splendeurs et misères des courtisanes
et Les Petits Bourgeois.
En 1841, Edgar Poe
écrit les premières nouvelles policières directement inspirées de faits divers
(lien avec la réalité). A noter chez ces deux
auteurs le lien étroit avec la réalité (d’où la proximité avec un lectorat
populaire) mêlé avec la fantaisie propre à la fiction ; le niveau de
langue est très soutenu chez l’un et l’autre.
C’est seulement avec Conan Doyle qu’émerge la première figure
de détective vraiment scientifique. À l’inverse de Sherlock Holmes, personnage de pur
enquêteur, sans émotions, sans vie de famille, ses contemporains français sont engagés
dans le jeu des passions, des idéologies et des morales de leur époque. Ainsi, Gaston Leroux doit sa
célébrité à un récit de chambre close où le détective Arsène Lupin,
le gentleman cambrioleur héros de Maurice Leblanc, vole au secours des
démunis au point de leur abandonner une partie de son butin (1905). Rouletabille
de Gaston Leroux conduit ses investigations (1907). Fantômas 1911.
Le roman anglais : détection :
Il est avant tout
anglo-saxon. Et le plus connu des écrivains de ce genre est Agatha
CHRISTIE.(1891-1976) : ses héros Hercule Poirot et Miss Marple sont les
dignes héritiers de Sherlock Holmes. La mention des titres met en évidence le
paradigme de la mort, d’où la mention de l’adjectif « noir ». Ces
romans sont élégants, avec une écriture maitrisée, ils décrivent des milieux
anglais sophistiqués et font appel à l’intelligence de la lecture. Ils ont un
côté « horlogerie » bien réglée qui fascine (ou lasse).
Les écrivains français :
Le grand
virage des années 1930. Bon nombre d’écrivains épousent à cette époque sans
réserve les règles du policier anglais. Collections le Masque et L’Empreinte.
Puis de nouveaux auteurs vont se manifester. Pierre VERY (1900-1960)
L’Assassinat du père Noël (1934), les disparus de Saint-Agil (1935), Goupi
mains rouges (1937). Il veut que ses personnages soient des êtres humains en
lutte avec la vérité. Ses romans sont parsemés d’anecdotes de la vie
quotidienne, d’anciennes traditions. Cette tendance s’accentue avec les romans
paysans. L’Assassin habite au 21 (1939). Son détective se nomme M Wens, c’est
un ancien policier qui s’est mis à son compte. Il a créé Aimé Malaise,
personnage à la Maigret, un an avant la sortie de Maigret.
Claude AVELINE, célèbre romancier et essayiste, publie pour se
divertir en 1932 un très bon roman policier : la double mort de Frédéric
Belot. Il cherche, de cette façon à prouver qu’il n’y a pas de genre littéraire
mineur. Il en écrira Cinq autres ensuite ans une période de quarante ans. Pierre BOILEAU qui prendra conscience
plus tard de la nécessité d’un renouvellement et s’associera à NARCEJAC.
Georges SIMENON avec son Maigret qui arpente le
monde pour rencontrer toujours des êtres fragiles intérieurement. Auteur de 400
romans sous différents noms. Une quinzaine d’œuvres autobiographiques. Il
existe 102 aventures de Maigret plus son autobiographie ! " Maigret
n’essaie pas d’expliquer il cherche d’abord à comprendre. C’est un peseur
d’âmes. Ce qui compte c’est un geste, un mot, un regard, un silence. Résoudre
l’énigme pour lui c’est ressentir la crise psychologique qui a conduit au
drame. "Distinguer Le charretier de
la providence, dont l’action est située à l’écluse de Dizy, près d’Epernay
(Maigret va dîner au restaurant La Bécasse).
Exbrayat. Ensuite, viendront les Simonin (Touchez
pas au Grizzbi), Giovanni, Boileau-Narcejac, Léo Malet, LeBreton, San Antonio,
Louis C. Thomas .... Mais le roman noir américain sera déjà passé par là et
rien ne sera plus comme avant.
Le roman noir
Avec Chandler et Dashiell
Hammett (I894-196I) à la
différence du roman anglais qui situent leurs actions dans des
milieux plus populaires avec des effets de réel encore plus grands (« des
gens issus de la rue ») . Gallimard lance sa Série Noire en 1945 avec ces
auteurs. Le Hard boiled abandonne la
notion de jeu policier anglais pour un certain réalisme. Il a pour fond la
violence et l’action, il ramène la vie au roman policier et connaîtra ensuite
un renouvellement durable avec les auteurs de Black Mask et leurs successeurs.
La série noire les a tous traduits mais pas toujours avec de bonnes
traductions, et assez souvent en éditions abrégées, sans que les lecteurs
soient prévenus. The Little sister de CHANDLER est devenu : fais pas ta
rosière. Le roman noir va faire retrouver au policier les formes et les vertus
de l’épopée. Il a une fonction sociale : réalise l’équilibre entre la
pensée mythique et la pensée rationaliste, il arbitre chez l’homme « Les
conflits de l’inconscient et du conscient ».
Le Détective intercède entre l’homme et l’impossible comme le prêtre le faisait entre l’homme et le sacré. Mais le décor est nouveau : c’est celui de la civilisation industrielle. Au roman du discours il oppose le roman du regard avec toutes les conséquences qui en découlent. Hammett ne sollicite pas l’intelligence du lecteur mais ses nerfs ou ses tripes ; il néglige la perception au profit de la sensation. Dans le même temps, certains écrivains américains continuent à faire du roman criminel classique : comme John Dickson CARR, Rufus KINC, Helen REILLY et Ellery QUEEN Ellery QUEEN, c’est le pseudonyme de Manfred B. LEE (1905- 1971) et de Frederic DANNAY (1905), deux cousins, fils d’immigrés polonais.
Le roman noir fait aussi école avec Peter CHEYNEY et
son détective Lemmy Caution ; et James Hadley CHASE (René RAYMOND
1906-1984) Pas d’orchidées pour Miss Blandish...Le grand nom du roman noir,
c’est Léo MALET et son détective Nestor Burma. Il a écrit les nouveaux mystères
de Paris : I vol. par arrondissement (il en manque encore 5 ?) il
invente en France le roman noir en même temps que les américains. On peut citer
aussi SIMONIN (Touchez pas au grizzli), LE BRETON, GIOVANNI, SAN ANTONIO
(disciple de Nestor Burma), Raf VALLET etc...
-Vision
des divers personnages :
-
Le criminel : appartient à tous les milieux dans le roman anglais. Dans le
polar noir, aux bas-fonds. Tactique romanesque : central mais
invisible : suspens. Fait-il peur, que représente-t-il : le mal, l’intelligence, la marginalité, le
dérèglement, la liberté , l’audace de la transgression larvée au creux de
chaque lecteur, est-il un malade, une victime de la société déréglée ?
Fauteur
de trouble dans la société, il cristallise toute la violence (bouc émissaire,
victime propitiatoire ? )
-
La police, avec les journalistes : Dans l’économie du roman, ils sont les
aides (comme dans les contes) qui mènent à la vérité. Le détective est celui
qui accède au sens caché d’une réalité appréhendée pour le commun comme
complexe, chaotique, sans sens. En cela, il est un « initiateur » qui
décrypte, révèle, auquel on délègue cette compétence.
En
quoi sont-ils les héros : intelligence, sang-froid, ténacité, courage,
représentant de l’ordre, de la sécurité ?
Le
processus d’identification : comment le lecteur se met-il aux côtés du
policier ? par solidarité dans le jeu, repli vers la sécurité, choix de
l’ordre face à la subversion ?
-Vision
de la mort
Paradigme
de la noirceur, de la peur
L’accumulation
est-elle banalisation , plaisir, simple jeu intellectuel, un accident, une
fatalité, une tactique littéraire ?
La
mort est-elle encore triste ?
Elle
est dépourvue de tout sentimentalisme : les cadavres sont des objets, de
la viande, plus ou moins observée, nécessaire à l’action.
La
mort, en introduisant un bouleversement dans la situation initiale, déclenche
le roman, fait vivre l’intrigue (paradoxe mort/vie, immobilisation/mouvement).
Vision mécaniste de la mort, qui n’est qu’une pièce du jeu.
-L’humour
Comment
se manifeste-t-il : recul par rapport aux personnages, bizarrerie des
situations.
Il
est souvent au second degré : les personnages ne rient pas, c’est le
regard de l’auteur sur certains milieux qui est porté avec humour voire cynisme
(limite ? )
-Ambition
de réalisme
Indices textuels : lieux, descriptions minutieuses, gages de
scientificité. Accentué par le passage à l’image (films, séries). Suscite
l’observation attentive en quête de signes.
Conséquences
chez les lecteurs dans leur vision de la police ? Le roman ignore la
juridiarisation de la société : absence du procureur, des contraintes
administratives, des échecs.
-Vision
de la société
Roman
à énigme : description de divers milieux, chronique sociale parfois drôle.
Polar :
marges, bas-fonds, vision très noire, morbide de la société (quelle qu’elle
soit).
L’analyse
du mal
Qu’est-ce
que le mal ? pas de théorie mais une description des disfonctionnements du
cœur humain et des structures sociales : violence, haine, exprimés par
l’argot.
Le
roman à énigmes anglo-saxon voit le mal dans la nature humaine mauvaise
(criminels de milieux corrects).
Le
roman noir violent démontre que c’est la mauvaise organisation sociale (monde
déséquilibré, injuste) qui engendre le mal (criminel issus des marges et des
paumés).
Quelle
réparation face à la violence ? quelle place pour les victimes ?
quelle image de la punition/rédemption. Le roman s’arrête où la justice
commence.
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