La théorie de la connaissance.
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La théorie de la connaissance cherche à fonder rationnellement la connaissance, c’est-à-dire à établir les bases sur lesquelles une véritable connaissance peut reposer. La stratégie classique consiste à partir de l’individu, de sa conscience (comme le fait Descartes) ou de ses sensations (comme le fait Husserl), puis de construire logiquement le monde à partir de ces sensations. Par exemple, il faut montrer qu’il est rationnel de supposer qu’il existe une « chose » au-delà de mes sensations qui les unifie et les explique (ex : il existe une pomme qui est la cause de mes sensations de couleur, de fermeté et de saveur).
Une telle tentative de fonder la
connaissance se heurte à l’objection suivante : et s’il n’y avait rien du
tout derrière mes sensations ? Et si le monde n’était rien d’autre que ma
représentation, que mon rêve ? Rien, au fond, ne me prouve que le monde existe
bien indépendamment de moi-même. Dans ce cas, aucune chose n’existerait, et
autrui pas plus que le reste. Par conséquent je n’aurais aucun devoir moralenvers autrui. Le problème théorique se redouble d’un problème éthique. Une
telle hypothèse, selon laquelle moi seul existe, est désignée par le nom de solipsisme (du latin solus, seul, et ipse, soi-même).
Nous n’avons pas accès directement à autrui, nous avons néanmoins accès
à lui indirectement par le biais de l’inférence[1]
ou de l’empathie[2]. Pour
Descartes, c’est par une inférence, un jugement intellectuel, que nous
découvrons autrui, comme d’ailleurs toute chose :
[1] Opération logique par
laquelle on passe d’une vérité à une autre vérité, jugée telle en raison de son
lien avec la première. La déduction est une inférence.
[2] Faculté intuitive de se
mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent.
La thèse de l’empathie est
peut-être encore plus naturelle : elle consiste à dire que j’ai accès à
autrui par ma capacité de me mettre à sa place, d’imaginer et donc de ressentir
ce qu’il ressent. Ce phénomène s’observe surtout dans le cas d’émotions bien
visibles sur le comportement d’autrui, comme une douleur intense (l’empathie
prend alors la forme de la compassion, de la pitié). La question qui se pose
est de savoir si l’empathie est le fruit d’un raisonnement, comme semble
l’indiquer la voie ouverte par Descartes, ou si au contraire c’est un acte tout
spontané.
Dois-je observer mon corps, puis observer celui d’autrui, et conclure
de leur ressemblance qu’autrui a aussi une âme comme moi, avec des
sentiments ? Il semble bien que le « raisonnement » soit
beaucoup plus immédiat que cela, si bien qu’il ne s’agit pas tant d’un
raisonnement que d’une tendance naturelle et spontanée à l’empathie.
L’enfant voit autrui partout, il
voit des visages partout, par exemple dans les nervures du bois ou dans les
ombres autour de son lit. Cela montre que le rapport à autrui n’est pas le
fruit tardif d’un raisonnement mais qu’il est premier, il précède nos
raisonnements. Notre connaissance d’autrui précède notre connaissance du monde,
voire de nous-mêmes. Le rapport à autrui est une structure existentielle qui
précède la connaissance effective des choses.
Et ma solitude n’attaque pas que l’intelligibilité des
choses. Elle mine jusqu’au fondement même de leur existence. De plus en plus,
je suis assailli de doutes sur la véracité du témoignage de mes sens. Je sais
maintenant que la terre sur laquelle mes deux pieds appuient aurait besoin pour
ne pas vaciller que d’autres que moi la foulent.
Contre l’illusion d’optique,
le mirage, l’hallucination, le rêve éveillé, le fantasme, le délire, le trouble
de l’audition… le rempart le plus sûr, c’est notre frère, notre voisin, notre
ami ou notre ennemi, mais quelqu’un, grands dieux, quelqu’un !
Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique
(1969)
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