Répression et Oppression
Issu d'une thèse doctorale, le remarquable ouvrage de la sémiologue québécoise Pascale Noizet sur les romans sentimentaux, de Pamela ou la vertu récompensée au "phénomène Harlequin", nous introduit à une analyse matérialiste de l'idée moderne d'amour.
Le moins que l'on puisse dire est que l'on ne ressort
pas indemne de la lecture de son travail. L'amour "qui n'a pas de
sexe", l'amour "qui fait tourner le monde" —naturel, éternel,
inquestionnable— est ici découpé au scalpel, décortiqué avec minutie et réduit
à sa plus simple expression : à ses fonctions matérielles dans l'organisation
des rapports sociaux de sexes.
S'appuyant solidement sur
l'hypothèse féministe que "l'amour est un des noyaux fondateurs de
l'oppression des femmes" et que "les femmes ne s'oppriment pas toutes
seules", Pascale Noizet analyse ici l'organisation de l'intimité amoureuse
du rapport hétérosexuel.
Dans une première partie, l'auteure
se penche sur le premier grand roman psychologique sentimental : Pamela ou la vertu récompensée (1740),
de l'anglais Samuel Richardson. Écrit au moment où l'Angleterre amorce sa
révolution industrielle, il apparaît comme le roman canonique d'une tradition
narrative qui glisse subtilement du pathétique au didactisme.
L'héroïne en est
une jeune servante vertueuse qui résiste aux avances sexuelles de son
"jeune maître". Séquestrée, enlevée et subissant même une tentative
de viol, elle se montre si ferme que son maître se repent et lui présente ses
excuses. C'est alors qu'elle tombe amoureuse de lui : après moultes péripéties,
ils se marient finalement, par amour —rompant ainsi le modèle du mariage de
convenance.
L'auteure montre de façon saisissante comment le harcèlement sexuel
de Pamela se déroule dans un lieu littéraire —et matériel— extrêmement hostile,
approprié par l'homme, de surcroît d'une classe dominante. On voit alors à quel
point le contrôle de l'espace est un élément clé du contrôle social des femmes.
Elle analyse ensuite de manière passionnante comment ce roman inaugure une nouvelle construction
sémantique —et un nouveau modèle— de l'intériorité féminine. Elle montre enfin
comment l'émergence du sentiment amoureux engendre un personnage féminin
problématique, fragmenté, confronté à l'absurde : aimer l'ennemi.
"Nous
avons là", dit-elle, "l'une des fonctions essentielles de l'amour, à
savoir effectuer un brouillage de la relation dans laquelle il prend
forme". Replaçant le roman dans son contexte matériel, l'auteure montre
comment l'idée d'amour qu'il invente accompagne l'évolution historique :
"l'amour apparaît comme étant le signe qui assure la cohésion entre deux
états, dont l'un s'inscrit dans une société préindustrielle d'ordres et l'autre
dans une société industrielle de classes de sexes".
Plus, il est :
"un des principes organisateurs d'un nouvel ordre social et de la façon
dont il réalise son parcours répressif". Apparu sous une forme démiurgique
—ensuite naturalisé— l'amour "richardsonnien" inscrit pour plusieurs
siècles le modèle de la relation amoureuse au sein d'un rapport de force, un
antagonisme de classe de sexe.
La suite ici : https://julesfalquet.files.wordpress.com/2012/06/f147-cr-nqf-noizet.doc
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