American Gangster. Odyssey Chronique Sévère
"... Avec les Soprano, la télévision a disputé au cinéma le monopole du romanesque, de la densité quant à la fiction criminelle. Des films récents – Zodiac, La nuit nous appartient ou cet American Gangster – ambitionnent de retrouver cette ampleur, associée naturellement aux seventies : l'âge d'or de la grisaille, du modernisme et de la Mafia filmée comme les Médicis (Le Parrain).Traçant sur fond de guerre du Vietnam la folie des grandeurs et l'ascension réelle de Frank Lucas, baron noir de la drogue, Ridley Scott a donc le regard dans le rétro, et s'expose même aux comparaisons avec Scorsese (Nicholas Pileggi, coscénariste des Affranchis, est d'ailleurs producteur exécutif du film).
Le cinéaste contourne adroitement le poids des références, d'abord en jouant profil bas côté mise en scène. L'ex-pubard est surtout à l'aise lorsqu'il recrée minutieusement un univers fantasmé (Blade Runner) ou avéré (le sous-estimé Kingdom of Heaven), comme ici, un New York de plomb et de pattes d'eph' (belle photo d'Harris Savides, chef op d'ailleurs de Zodiac, The Yards et de Gus Van Sant). S'épargnant tout effet chichiteux, Scott adopte la technique de son gangster, dont les affaires sont florissantes car il sait rester discret. En cela, le film et son anti-héros, plus Mr X que Malcolm X, sont intrigants parce que réfutant l'attitude black revendicative de l'époque (voir les Black Panthers ou la blaxploitation flamboyante), ainsi que la nostalgie à la Jackie Brown.
Frank Lucas (Denzel Washington, impeccable de dureté civilisée et opaque – une interprétation à récolter un oscar) adopte une logique froide, oblique mais violemment politique qui lui permet de contester et d'intégrer à la fois le système : c'est un col blanc soucieux de la concurrence, de travailler plus pour gagner plus ; en même temps, dans une scène, un agent du FBI rit à l'idée qu'un Noir ait pu édifier un tel empire du crime.
L'ironie ambiante fait la réussite du film, culminant dans l'idée du gangster comme vital pour la société, aussi bien pour la police que pour suppléer aux carences de l'Etat (une HLM est transformée en usine d'héroïne). Même sur la durée – 2 h 37, et Ridley Scott est coutumier de la version longue gardée sous le coude pour le DVD –, le réalisateur sait qu'il ne peut rivaliser avec la vision opératique d'un Coppola ou le réalisme coup de poing d'un Friedkin.
Plus sociologique que tragique, il compense en s'attachant aux petits riens (le détail qui amorce la chute de Frank Lucas est comique), insiste malicieusement sur l'opposition entre son gangster, dangereux et attaché à sa famille, et son futur ennemi (Russell Crowe), flic incorruptible dont la vertu ne lui rapporte rien."
Ca ne rigole pas ici : http://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/american-gangster/
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