Le Maître des illusions (Donna Tartt)
« Ecrit en dix ans et publié à l'âge de 28 ans, « Le maître des illusions » est un de ces pavés mythiques que les lecteurs se recommandent, par bouche à oreille, d'année en année. Il est l'œuvre d'une jeune Américaine, née à Greenwood, Mississippi, écrivain précoce, publiant ses premiers poèmes à treize ans et camarade de lycée d'un certain Bret Easton Ellis à qui elle a notamment dédié ce premier roman.
Publié en 1993, ce campus-novel, en forme de faux-thriller, qui entremêle passion intellectuelle, littéraire et sentiments absolus jusqu'à la folie meurtrière, fut un succès mondial. Traduit dans 23 langues, « The Secret History », son titre original, fit de Donna Tartt une star littéraire. En 2007, le roman n'a rien perdu de sa force même si ses 700 pages auraient pu être allégées…
« (…) Les choses terribles et sanglantes sont parfois les plus belles. C'est une idée très grecque, et très profonde. La beauté c'est la terreur.
Ce que nous appelons beau nous fait frémir. Et que pouvait-il y avoir
de plus terrifiant et de plus beau, pour des âmes comme celles des Grecs
ou les nôtres, que de perdre tout contrôle ? Rejeter un instant les
chaînes de l'existence, briser l'accident de notre être mortel ? (…) Si nos âmes sont assez fortes,
nous pouvons déchirer le voile et regarder en face cette beauté nue et
terrible ; que Dieu nous consume, nous dévore, détache nos os de notre
corps. Et nous recrache, nés à nouveau. »
« Souvent défini comme un roman à suspens ou un thriller, ce roman demeure avant tout un roman sur la fascination et la manipulation psychologique. Un roman sur le pêché et l'innocence perdue. C'est aussi un roman d'apprentissage « extrême » en quelque sorte, où un jeune californien quitte les bosquets d'orangers, les piscines de ses voisins et surtout la station service de ses parents modestes et négligents,
pour étudier dans une prestigieuse université du Vermont (région où a
étudié l'auteur au Bennington College et où elle s'est liée d'amitié
avec l'écrivain Bret Easton Ellis) : Hampden. »
« Un
nom « à la résonnance anglicane » (et qui rappelle celui de « Campden »
imaginé par Ellis) dans une région qui lui évoque « les prairies
radieuses et les montagnes vaporeuses dans un lointain frémissement »,
bref un échappatoire inespéré à sa morne vie et l'opportunité de prendre
un nouveau départ plus exaltant. »
« Nous
le suivrons donc au cours de cette première année scolaire, qui sera
déterminante pour le jeune héros : « Je suppose qu'il y a un certain
moment crucial dans la vie de chacun où le caractère est à jamais fixé ;
pour moi c'est ce premier automne que j'ai passé à Hampden. » Très
vite, il remarque un mystérieux petit groupe d'étudiants formant un clan à part,
à l'élégance surannée et presque princière, aux silhouettes androgynes à
la « sophistication sinistre ». « Ils apparaissaient ici et là, tels
les personnages d'une allégorie ou les invités morts depuis longtemps
d'une garden party oubliée. » Il mettra tout en œuvre pour approcher ces inaccessibles
qui le fascinent. Il y parviendra en rejoignant notamment leur classe
de grec ancien mené par le charismatique, despotique et érudit Julian Morrow. Débute alors une formation hors norme pour le jeune-homme qui ne se doute pas des conséquences dramatiques
de cette étrange amitié et de cet enseignement si particulier
entièrement dédié aux langues anciennes et aux traditions antiques… »
« Très tôt dans le récit, la romancière fait le choix de dévoiler le cœur du drame. La suite du récit nous apprendra, au gré d'indices distillés au compte-goutte, les circonstances exactes et les mobiles qui conduiront ces jeunes étudiants aux portes de la folie et du meurtre.
Mais
l'intérêt principal ne se situe pas dans cette intrigue finalement peu
originale au regard d'œuvres connues telles que « Le cercle des poètes
disparus », « Bully » de Larry Clark ou encore « Sa majesté des mouches »
côté littérature, ce sont plutôt ses personnages campés avec une maestria psychologique
et une richesse de détails préfigurant celle chère à son ancien
camarade de lycée, Bret Easton Ellis (quelques mentions de marques
apparaissent d'ailleurs ci et là comme « la petite montre Cartier » ou «
la cravate Hermès », « veste Brooks Brothers en soie »…).
En
particulier le portrait fouillé qu'elle réalise de ces adolescents
atypiques, décalés, esthètes élitistes, arrogants et émouvants à la
fois, qui lisent Homère et Platon et cultivent « un mode de vie byzantin
» à la recherche d'absolu, d'extase, loin de tout matérialisme… ou de toute morale.
Les manipulations psychologiques et le mystère de leur personnalité
complexe qui sera éclairci au fil des pages, intrigue davantage que
leurs actes et l'enquête policière qui suivra. Chacun se révèlera en
effet bien différent des premières impressions données.
Le personnage de Camilla, seule figure féminine du groupe est particulièrement réussi
«
La lumière de la fenêtre se déversait directement sur son visage ; sous
un éclairage aussi fort la plupart des gens ont l'air quelque peu
délavés, mais ses traits fins et limpides en étaient illuminés, si bien
que la regarder provoquait un choc : ses yeux pâles et rayonnants aux
cils cendrés, l'éclat doré de sa tempe qui se fondait graduellement dans
le miel tiède de ses cheveux luisants. » ou encore « (…) Elle n'était
plus son personnage habituel, inaccessible et lumineux, mais plutôt une
apparition un peu brumeuse et d'une tendresse ineffable, toute en
poignets fragiles, en creux ombrés et en cheveux ébouriffés, l'adorable
et pâle Camilla qui se cachait dans le boudoir de mes rêves
mélancoliques. »
« L'ambiguïté amoureuse
entre les différents membres de cette « caste » attire aussi
l'attention sans que l'on puisse bien savoir ce qu'elle cache et trame.
Ce qui relève de la simulation, du jeu ou de la réalité… Un climat de trouble et de « perversité innocente » baigne constamment ces pages, sur fond d'érotisme et d'érudition quasi mystique. »
« Donna Tartt fait monter progressivement la tension
à mesure que les liens (et l'étau) se resserrent autour du jeune
californien qui oscille entre crainte et profond attachement à ses
nouveaux amis, dans un jeu de répulsion-attraction : «
Je sentais que mon existence était compromise d'une façon subtile et
essentielle. » Et brouille les pistes dans l'anticipation d'évènements
qui n'adviennent pas ou de façon surprenante. »
« Même
s'il sonne parfois un peu artificiel, le parallèle entre les cours de
grec et la vie des étudiants est assez intéressant et donne toute
l'originalité au récit en lui évitant d'être une « banale » histoire de meurtre.
Le personnage de Julian Morrow, sorte de gourou à la fois paternaliste
et autoritaire, est à ce titre très intéressant et tout aussi
énigmatique. Les pages du début où sont exposés quelques-uns des
préceptes (aux accents d'endoctrinement) de ses cours sont particulièrement réussies et trouveront leur résonnance dans les évènements qui suivront. »
L'étude ici : http://www.buzz-litteraire.com/20070104734-le-maitre-des-illusions-de-donna-tartt/
(…)« Il est dangereux d'ignorer l'existence de l'irrationnel. Plus une personne est cultivée, intelligente, réprimée, plus elle a besoin d'une méthode pour canaliser les impulsions primitives
qu'elle s'est efforcée d'éliminer. Sinon ces forces puissantes et
archaïques vont s'amasser et grandir jusqu'à se libérer, d'autant plus
violentes qu'elles ont été retardées, et souvent assez brutales pour anéantir complètement la volonté. »
- Découvrir le nouveau roman de Thierry Brun. Editions Le Passage. La Ligne de Tir : Révélation.
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